Menu principal:
L'écrivain > Livres
Le Mange-mots
Julien n'était pas à proprement parler un élève studieux. S'il exécrait les leçons de mathématique, il était passionné par contre de lecture et d'écriture. Ne venait-il pas de dévorer d'un coup le dernier roman de Jean-François Haas ?
Curieux, se dit-il, ce livre est le dernier publié par cet auteur, et il date déjà de 5 ans. Il me semble qu'il écrivait un livre par an, auparavant. Pourquoi donc n'a-t-il rien publié depuis plusieurs années ? Lassitude, maladie ou plus du tout d'inspiration ? Intrigué, il voulut en avoir le cœur net. Le jour même, il se présenta au domicile de son écrivain préféré.
Ce dernier le fit entrer, l'installa à la table du salon, encombrée de piles de livres.
Julien dit aussitôt sa passion de la lecture et de l'écriture, se permettant même quelques commentaires sur le dernier livre de l'écrivain. Ce dernier l'écoutait religieusement.
Puis Julien osa.
- Dites moi, Monsieur Haas, pourquoi n'avez-vous plus rien publié depuis 5 ans ?
Jean-François Haas prit soudain un air de conspirateur, jeta un regard inquiet autour de lui. Un long silence s'ensuivit, puis, d'une voix basse, à peine audible, en se penchant vers son visiteur, il murmura :
- Le Mange-mots !
Julien crut avoir mal compris.
- Le mange quoi ?
- Pschitt ! Venez dans mon bureau, dit-il, vous comprendrez ! Mais attention. Ne dites surtout pas que vous écrivez aussi !
Ils entrèrent dans le cabinet de l'écrivain. Sur la table trônaient un enchevêtrement de papiers et de livres, et un manuscrit ouvert, inachevé. Il le désigna de la main.
- Tenez, lisez, à la page 36, la 2e ligne !
Julien s'empara du cahier, l'ouvrit à la page demandée. A la deuxième ligne, au beau milieu de la phrase, un mot manquait, laissant un espace libre.
- Maintenant, prenez la page 47 ! La dernière !
Julien s'exécuta et trouva une page où manquaient une vingtaine de mots, ce qui créait des espaces qui rendaient aléatoire toute lecture.
- Voyez-vous, jeune homme, le Mange-mots braconne sur mes textes. Il est friand de mots frais et précieux. Regardez, ma dernière page. Le gourmand !
Il ne m'a laissé que des articles, des prépositions et des virgules. Il a tout mangé !
Faites attention, vous qui écrivez !
Il prit soudain un air contrit, comme s'il avait dit une bêtise.
Julien regrettait maintenant sa visite. Son auteur préféré était simplement devenu fou. Il eut mieux valut pour lui de ne pas le savoir. Il prit rapidement congé, confus, et rentra chez lui. Songeur, il s'attaqua à la suite de son roman, sur son ordinateur. Galvanisé par son récent entretien, il lui sembla que ses phrases tombaient, parfaites. Fier de lui, il se relut enfin, après quelques pages. M. Haas, l'écrivain, c'était lui, maintenant. Il le sentait.
Trois jours plus tard, toujours plongé dans son œuvre, au milieu de son texte, un mot utilisé lui parut trop commun. Il rechercha un beau synonyme et le remplaça.
Il allait, ce soir là, refermer sa page, lorsqu'un petit détail le surpris : un espace, là, dans son dernier paragraphe. Le mot qu'il venait de remplacer manquait, comme effacé.
- Non ! Ce n'est pas possible !
Incrédule, il le tapa une fois encore sur son clavier. Il disparut à nouveau. Sur son écran, son texte se mit à danser, alors que plusieurs mots, qu'il était certain d'avoir composés, manquaient déjà.
- Le Mange-mots ! murmura-t-il, le Mange-mots !
Il eut une sueur froide, se demanda s'il rêvait ou s'il devenait fou lui aussi.
Il avait .... son texte, il y manquait .... lui .... des .... . Au beau milieu de sa .... , des espaces apparaissaient, comme par .... .
Il songea un .... à .... Haas, .... l' .... qu'il .... visité la .... . Ainsi, il .... . Ce .... Mange-mots qui dans .... , .... les .... sur .... et .... .
Ce n'était .... pas .... une .... de .... , mais .... un .... qui .... vous, .... mais .... vrai ?
Julien