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Magies de campagne

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Magies de campagne ( 2008 )



Un livre de 166 pages sur des souvenirs d'enfance, ou plutôt sur
un village avec ses traditions et ses coutumes, à travers des personnages
clés de cette époque : curé, syndic, instituteur, taupier, etc...

Le fil rouge, une histoire abracadabrante, soit une cuvette magique qui mange tout ce qui tombe dedans...

Une fresque un peu crue de cette époque...mais très fidèle à son vécu...


Sans prétention




.....


Extrait du livre, pour votre plaisir
:



La rumeur prit corps en cette fin d'été 1960.

Ce jour-là, la chaleur de plein juillet, suffocante, justifiait pleinement une transfusion des fidèles à chapeaux mâles de l'église vers le petit bistrot de l'"Auberge de l'Union ", en plein centre du village d'Amourens. Il était onze heures trente.

Les joueurs de cartes, maintenant bien calés devant leur " trois décis ", se disputaient comme tous les dimanches après la messe. Selon l'habitude, les quatre compères quittaient en urgence l'office aussitôt après la communion, bruits de banc, sous les regards amusés de l'assemblée.

Point de précipitation, point de table ! Au diable le bon Dieu !

Nicolas Sarcause frappa sur la table d'une main assurée, lui qui était assureur et propriétaire de deux moutons. Sa femme non comprise. Les cartes, formelles, annonçaient une moisson de points.

- Encore cinquante ? Pas possible. Chance aux cocus.
A ta place, je rentrerais vite voir ma femme !

- Eh ! Mon tour arrive. Je vais rafler la mise ! sourit Francis, abattant son jeu, clignant de ses petits yeux malicieux.

- Pour une fois que j'ai du bol, nom de D… !

Il se ratatina soudain, comme une pomme de cent vingt et un ans et trois quarts d'heure, jeta un regard inquiet vers le fond du bistrot. Il leva sa petite tête sèche, archi-sèche sans l'archiduchesse, toujours plus haute, alors que sa main jaune enfleurée de cartes, à contresens, se posait ouverte et indiscrète sur la table.

Vous aviez pensé " Pique " ? C'était " Carreau " ! Tous les joueurs le savaient maintenant. Pourtant, personne n'avait lorgné. Louché… peut-être.

- Ne t'en fais pas, dit l'instituteur, " Le Noir " est encore à serrer les mains blanches !

Daniel Rolle calmait ainsi son monde, de son autorité cultivée. Il profitait au passage d'égratigner son Autorité ô combien peu éclectique mais si ecclésiastique. Selon lui, il ne se prêtait qu'aux riches et aux nobles.

Pourtant, Daniel appartenait lui aussi au triumvirat des puissants relatifs du village, dans l'ordre :

Syndic, Curé, Instituteur. Mais un petit défaut le marginalisait, dans ce petit club.
Jurer devant le curé se comparait à parler de maîtresse devant les femmes. Ouf, pour cette fois, Francis échappait au sermon privé du " Noir " en public. Tous les rieurs qui n'attendaient qu'une bonne histoire à raconter à leurs familles au repas de midi en étaient pour leurs frais.

Un " Tu joues ou quoi ? " tonitruant le fit sursauter.

Son regard caressa les formes laitières canon ou canyon de la sommelière, se posa sur son jeu, puis sur son verre. Il y resta coincé.


- Santé, Nom de D…, euh, nom de diable ! C'est meilleur que du jus de chique, non !

Il leva le récipient autrefois transparent, se tourna vers l'assistance. Une forêt de verres au bout de quarante-sept bras velus et demi salua le geste. Le jeu de cartes s'escamota alors complètement.

Béni soit le vin d'après-messe.

Mais les joueurs s'impatientèrent, une fois la sécheresse revenue.

- Ach, aber Francis ! dit Adolf Ogi, le quatrième joueur, de son lourd accent Suisse-Allemand.

- Du viens chouer ! Du chou, oui ou nein ! On va pas nous arriver à chluss avant quinze
heures. Ce sera potage à grimaces, chez Daniel. Il a département des orages à
maison. Foudre après toi aussi demain !

Hilare ! Et Francis se remit au jeu, tandis que l'instituteur grimaçait. La pensée d'affronter sa femme à la rentrée, au bout de deux étages d'escaliers, l'œil glauque et le pas le plus incertain, ne l'enchantait guère. Midi était midi et il était déjà treize heures au carillon.

Il retarda sa montre d'une heure, on ne sait jamais, et changea de sujet. Coup de la panne.

- Que se passe-t-il à La Cabane ? Avez-vous aperçu quelque chose ?

Tous les regards, sauf un, peut-être deux, se tournèrent vers lui.

- On dit qu'il se passe de bizarres choses, chez Pisse-Tôle !

Personne ne semblait au courant, d'autant que l'électricité s'annonçait denrée nouvelle, à cette époque.

- Quoi ? Qui t'a dit cela ? se hasarda Nicolas.

- Les gosses, à l'école ! Ils disent qu'une poule a perdu son bec, qu'une génisse n'a plus que la moitié
de sa langue !

Perdre sa langue ! Mauvaise affaire. Personne ne soufflait mot et pour cause.

Emile Piccaud ou Pisse-Tôle était-il devenu fou ? Mutilait-il à présent ses animaux ? Forcément. Qu'attendre de bon de la part d'un bougre qui n'assistait jamais à la messe ?

Du pain bénit, sinon, pour les commères.



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